DE
LA POLITIQUE DES AUTEURS (CINÉMA)
À
LA MISE EN QUESTION DE L’AUTEUR (CINÉMA & AUDIOVISUEL)
Université
Paul-Valéry – EA 4209 : RIRRA 21
Programme
de recherche : actualité esthétique du cinéma et de
l’audiovisuel
Changement de date : Vendredi 15 avril 2016
Dans
Hitchcock / Truffaut, un film documentaire réalisé en 2015
par Kent Jones, une dizaine de cinéastes notoires (dont M. Scorsese,
D. Fincher, R. Linklater…) revenant sur le monumental entretien
d’une semaine en 1962, donnent tous raison à Truffaut d’avoir
œuvré pour qu’Hitchcock fasse figure par excellence de
« l’auteur » en cinéma. Le cinéma selon Hitchcock,
le livre issu de cet entretien et publié en 1967 fit écho à ce que
Truffaut avait déjà formulé en 1955, quand il était aux Cahiers
du Cinéma, comme étant « la politique des auteurs ».
En 1972, La Politique des auteurs – Entretiens avec dix
cinéastes est publié une première fois puis réédité en 1984
par Les Cahiers du Cinéma, avec une préface de Serge Daney.
Non loin des Cahiers, mais en pleine contestation des Cahiers,
la revue Positif, elle aussi motivée par « l’auteur »,
insiste sur le fait que la dite « politique » a été
inventée par Louis Delluc dans les année 1920 puis reprise dans La
Revue du cinéma de Jean-Georges Auriol.
Par-delà
les débats critiques, les remises en question historiques et
théoriques sur le bien-fondé de cette « politique des
auteurs », deux idées, qui furent vraiment originales, en
constituent le fondement. D’abord, désigner le réalisateur d’un
film comme son « auteur » fait de lui l’alter ego
d’un écrivain, or les écrivains écrivent seuls leurs livres
et n’ont pas besoin d’une structure de production. Et puis
estimer que Welles, Buñuel, Dreyer ou encore Rossellini et
Antonioni, ou Renoir font des films originaux, insolites, est
acceptable par toute la critique, mais leur adjoindre dans cette même
estime de « l’auteur », Lang, Hitchcock, Hawks est plus
difficile à admettre parce que ces cinéastes travaillent à
Hollywood où ils (ne) sont (que) des directors, quand bien
même certains d’entre eux auraient-ils emporté avec eux leur
approche européenne du cinéma. Ce que les critiques des Cahiers
du Cinéma avaient alors mis en avant c’est « le style ».
Est « auteur » un cinéaste, n’importe quel cinéaste
dont le spectateur peut reconnaître la présence (la patte) dans des
figures de style qui traversent tous ses films, tissant ainsi une
esthétique singulière, au-delà de toute considération thématique
ou générique.
Or
le cinéma, qui se prend très tôt à raconter des histoires,
s’ouvre comme naturellement à une modalité de récit très
ancienne : la sérialité. Cette dernière,
par ses mécanismes caractéristiques de répétition, semble
déposséder « l'auteur » de son originalité et remettre
en perspective l'importance de cette notion. Pourtant, n'y a-t-il pas
dès les débuts du cinéma une certaine affinité entre la
conception de séries et l'émergence de l'auteur, voire du
« cinéaste » ? En est exemplaire Louis
Feuillade : Fantomas, Les Vampires, Judex
sont réputés ainsi que ses petits films dédiés en série aux
mêmes personnages (« Bébé », « Oscar »,
« Bout de Zan », « Barrabas »). Même chose
de Charlie Chaplin, avec « Charlot » ou encore « Mabel »
dont il décline les noms dans le titre et les facéties d’une
bonne cinquantaine de films (courts ou moyens-métrages). Et cela n’a
jamais cessé. En France, François Truffaut (encore lui !) a
installé dans 5 longs-métrages un même personnage : Antoine
Doinel. Aux États-Unis, dans le sillage de la
tradition moderne de la Nouvelle Vague, un « auteur » tel
que Richard Linklater a construit une trilogie mettant en scène un
même couple de personnages évoluant dans le temps (Before
Sunrise, Before Sunset, Before Midnight,
entre 1995 et 2013). Les sagas hollywoodiennes contemporaines, quant
à elles, ne cessent de faire revenir les mêmes créatures qui
portent les films au point d'en écraser (peut-être) leurs auteurs :
« James Bond », « Batman », « Alien »...
Il convient ainsi de se demander ce qu'il en est dans ce cas
particulier où de multiples réalisateurs participent à une même
série ? Quelle place alors pour l'auteur « cinéaste » ?
Quelles sont ses libertés/contraintes et comment s'exprime ou se
réprime son originalité dans le cadre réputé étroit de la série
? A l'inverse, dans un cadre plus libre et moderne, quels buts
poursuit un auteur de cinéma, à l'exemple de Truffaut ou Linklater,
lorsqu'il élabore un projet esthétique fondé sur le principe de
sérialité ?
Or,
ce que le cinéma a fait et a été pendant plusieurs décennies est
entré de plain-pied dans un autre territoire :
« l’audiovisuel ». Une sorte nouvelle de films a vu le
jour : le « téléfilm ». Les chaînes se sont de
plus en plus investies dans la production cinématographique.
C’est ainsi qu’une interaction à la fois culturelle, économique,
mais aussi esthétique, s’établit entre les deux institutions. Dès
1955, Hitchcock avait déjà franchi le Rubicon pour mettre son
talent au service du petit écran. À l’inverse, de nombreux jeunes
réalisateurs débutent à la télévision, où ils forgent un style
visuel propre influencé par le medium, pour ensuite rejoindre le
cinéma : Robert Altman, Sam Peckinpah, Sydney Lumet, Blake
Edwards, William Friedkin, Michael Mann… En particulier, le cinéma,
devenu très poreux au dispositif télévisuel, en a récupéré des
traits, celui-ci notamment : la conception et la fabrication de
séries. Ce trait propre au medium (flux) télévisuel apparaît
ainsi comme une scansion nécessaire, une technique de fidélisation
du public.
Quelle place alors dans ce système pour l'auteur ? On
peut citer ici l’exemple des deux premières « saisons »
de Twin
Peaks
(1990 et 1991), œuvres d’emblée destinées à une diffusion
télévisuelle et conçues comme un feuilleton. Or Twin
Peaks
marque l’entrée de David Lynch, aidé par Mark Frost, dans le
domaine de la télévision alors qu’avant cela il n’avait fait
que des films de cinéma. Avec Lynch, cinéaste
« artiste-plasticien », la question de l'auteur prend une
nouvelle dimension dans le processus de création de l’œuvre
télévisuelle sérielle et pose les jalons d'un véritable âge d'or
de la série télévisée américaine, tout en offrant à d'autres
cinéastes-auteurs la possibilité d'y transposer leurs styles
visuels cinématographiques (Martin Scorsese, Gus Van Sant, David
Fincher, Sam Raimi...). Toutefois, en règle générale, le
réalisateur semble n'être, comme dans le système hollywoodien des
studios, que le rouage d'un ensemble plus vaste, dont il n'a pas la
maîtrise globale, laissée au tout-puissant producteur, créateur ou
showrunner.
Dans ce cas, quelle place lui reste-t-il ? N'est-il que le simple
exécutant d'un principe édicté avant lui ou peut-il y apporter une
touche personnelle et transgressive ? Par leur notoriété
d'auteur, les cinéastes évoqués précédemment façonnent-il le
style visuel de l'ensemble de l’esthétique de l'œuvre, même
s'ils ne réalisent pas tous les épisodes de la série ? La
« politique des auteurs » peut-elle finalement
fonctionner dans le cadre d'une série télévisée, comme le propose
Louis Skorecki (Sur
la télévision. De
Chapeau melon et bottes de cuir
à Mad
Men, 2011) à propos de Steven Bochco, co-créateur de Hill
Street Blues
(1981-1987) et NYPD
Blue
(1993-2005) ?
En
puisant des exemples contemporains ou passés, aussi bien chez des
cinéastes-auteurs reconnus qu’au sein de l'industrie du
divertissement, nous souhaitons inviter des chercheurs d'horizons
multiples à réfléchir sur la notion d'auteur au cœur de la
création cinématographique et audiovisuelle, notamment à travers
le prisme particulier de la sérialité.
Les
questions que nous souhaitons aborder sont celles-ci :
• Le
mot « auteur », étroitement corrélé à la fabrique de
récits littéraires, apporte-t-il une plus-value à celle des récits
cinématographiques ?
• Que
reste-t-il de la « politique des auteurs » dans le cinéma
contemporain ? Quels auteurs de cinéma porteraient trace dans
leurs styles visuels de cette « politique » ?
• Qu’en
est-il de la place de l'auteur d'une (ou dans une) œuvre sérielle,
que celle-ci soit un serial cinématographique français des
années 1910, un ensemble de « films d'auteur » ou de
blockbusters américains contemporains ?
• Comment
les cinéastes-auteurs ont-ils influencé la création télévisée
sérielle ? Et en quoi cette influence permet-elle de
problématiser la notion d'auteur dans le domaine de l'audiovisuel ?
• A
quoi reconnaîtrait-on alors un auteur de télévision (choix
d'acteurs, récurrences de thèmes, usages de procédés narratifs ou
de figures esthétiques...) ?
Les
propositions de communication (500 mots) sont à envoyer au plus tard
le 03/01/2016. accompagnées d’une courte bio-bibliographie
et de votre adresse de contact à :
Maxime
Scheinfeigel : maxime.scheinfeigel@univ-montp3.fr
Julien
Achemchame : julien.achemchame@univ-montp3.fr
La
sélection des interventions sera communiquée par courriel au plus
tard le 31/01/2016.
Une
publication des travaux pourra être envisagée.