samedi 9 juin 2007

Appel à contributions: LE NUMERO 7 DE LA REVUE ENTRELACS, L'ATELIER

LE NUMERO 7 DE LA REVUE ENTRELACS

L’ATELIER



PUBLIEE PAR LE LABORATOIRE DE RECHERCHE EN AUDIOVISUEL (LARA),
ET L’ECOLE SUPERIEURE D’AUDIOVISUEL (ESAV) de
L’UNIVERSITE DE TOULOUSE II LE MIRAIL


PARAÎTRA EN MARS 2008




TEXTE DE L’APPEL A ARTICLE


L’ATELIER



Le premier atout de l’oeuvre, c’est le temps, c’est l’odeur, c’est la musique de l’atelier... Le trait qui s’anime, l’air qui circule, le papier qui noircit, le long des chaînes d’inventions que forgent les apprentis à l’orée d’une vénération qui les conduira peu à peu à la maîtrise du faire créateur.
L’Atelier, c’est le lieu de toutes les peines, celui du bonheur éphémère d’un fragment réussi, d’une page bouclée, d’un phrasé qui s’anime jusqu’au retour de la conscience critique, rupture de toute les grâces, que les plus incertains n’auront même pas le privilège de connaître à nouveau !
Il faut passer à l’Atelier. Que l’on soit artiste solitaire, peintre des mansardes, écrivain d’alcôves, ou cinéaste de l’intime, ou que la création suscite, seule, une jouissance d’esthète que d’aucuns ont fait métier de conter, c’est à l’atelier que le labeur de l’artiste s’écoule des fronts enflammés, en grosses gouttes qui abreuvent des pans entiers de l’Histoire du monde, ces masses de regards qui, dans un souffle commun, n’en finissent plus de regarder et d’éprouver le monde...
C’est là, dans les couloirs rugueux de ce laboratoire de la Méthode, où la claustration volontaire s’habille, tantôt d’une ivresse du contentement de soi, tantôt de l’angoisse pénétrante des ratures ou de la panne, feuille noircie, puis déchirée, image barbouillée, partenaires méprisés, voire haïs, c’est là le centre de cette génèse organique, fécondée par les excès accumulés d’un corps sensible au monde, toujours prêt à vomir, si le goût en est aigre ou amer, cet amas de chair et d’âme qui, sortant de l’Atelier, aura peut-être nom d’oeuvre, d’ébauche, d’esquisse, absolue, maîtresse, ou inconnue...
Que d’artistes confrontés de leur plein gré au chaos de l’Atelier ! «Délire géologique» du Cap Créus que Dali avait toujours devant les yeux à Cadaquès, désordre intérieur d’un imaginaire de la persécution, de Rousseau à Van Gogh, de Céline à Ligeti, aux cinéastes de la résistance et du détournement, (on ferait ici un inventaire infini des créateurs éprouvés par des circonstances extérieures objectives, ou / et par les éclats entretenus d’obsessions paranoïaques...), mysticisme inquiet, de Pascal à Tarkowski, scrupule documentaire faisant de l’artiste un militant, tout autant qu’un inventeur de réel, de Zola aux cinéastes documentaristes, voire, de l’Origine du monde, atelier-matrice selon Courbet, au cinéma de Maurice Pialat...
L’Atelier de l’artiste, qu’il soit indistinctement d’écrivain ou de poète, de peintre, de musicien, d’acteur, de plasticien, de photographe, de cinéaste, passe la seule topologie d’un espace réservé et intime. Il ouvre également sur une disposition mentale complexe dont l’imaginaire rétablit incessamment le foisonnement, que sont ces références stratifiées ensevelies par la poussière d’un oubli rémédiable : «Voulez-vous que je vous dise ? demande Picasso au photographe Brassaï. Si j’ai toujours défendu qu’on nettoie mes ateliers, qu’on les époussette, ce n’est pas seulement de peur qu’on dérange mes choses, mais c’est surtout parce que j’ai toujours compté sur la protection de la poussière... Elle est mon alliée... Je l’ai toujours laissée se déposer à sa guise... C’est comme une couche de protection...»(1)
Intrusion dans le microcosme bruyant et aveuglant de l’oeuvre en train de s’élaborer, où l’artiste découpe, comme dans un millefeuille, des fragments éparpillés dont il faut inventer la cohérence, pour les incorporer au continuum de l’oeuvre à venir, ce manifeste évidemment inaccompli d’une pratique momentanée de l’Atelier, où les allées et venues de l’artiste finiront bien par corroborer l’intégration, par l’histoire, de l’oeuvre de toute une vie.
L’Atelier du cinéaste se lit parfois dans l’entrelac subtil de la cicatrice à fleur de pellicule. Des scarifications du cinéaste cubain Santiago Alvarez, aux élongations troublées de Sokourov dans Mère et fils, des sutures d’Andréï Roublev, à la dentèle ciselée des esquisses d’Artavazd Péléchian, le film témoigne plus que tout autre de ce contact intime et nécessaire du corps créateur avec la glaise dont est façonné l’objet filmique, faisant, pour ainsi dire, de tout cinéaste un travailleur manuel, dans son sens le plus concrêt, celui de la «fabrique du film».
Le cinéma s’agit, bien plus qu’il ne se pense, ou, s’il se pense, il s’agit premièrement dans cette pensée. Comme on voit, dans le magnifique El Sol del membrillo, du cinéaste espagnol Victor Erice, le peintre Antonio Lopez utiliser, à l’Atelier, les outils du maçon et de l’architecte, le plomb et l’équerre nous renvoyant au Peter Greenaway de Meurtre dans un jardin anglais, images du double confondu, du peintre de la lumière, en cinéaste des procès de la création, et, par là même, des rituels du sacré. Autoportrait de l’acte, identité du geste, l’Atelier est tout entier présent dans cette posture...
Et l’on ne craindra pas, à l’Atelier, d’oser parler de «bricolage», dès lors que l’écrivain et prix Nobel, Claude Simon, le justifie ainsi : «Je ne connais pas, en effet, de terme qui mette mieux en valeur le caractère tout à fait artisanal et empirique de ce labeur qui consiste à assembler et organiser, dans cette unité dont parle Baudelaire et où elle doivent se répondre en échos, toutes les composantes de ce vaste système de signes qu’est un roman»(2). Qu’il s’agisse du roman ou de la toile, de la partition interprêtée ou du film projeté, la formule rappelle qu’à l’origine de toute avènement poétique, il y a les barbouillages, les illuminations, les rognures et la solitude de l’Atelier... !


Pierre Arbus,
Enseignant Chercheur, Université de Toulouse II Le Mirail
Rédacteur en Chef de la revue ENTRELACS,
Coordinateur du numéro 7 : L’ATELIER






NOTES
(1)- : BRASSAÏ, Conversations avec Picasso, Gilberte Brassaï et Gallimard : Paris, 1964. Cité ici dans la 2ème édition, 1997, p. 115.
(2)- : Claude SIMON, Nouveau Roman : hier, aujourd’hui, tome 2, U.G.E. : Paris, 1974, coll. 10/18, p. 92.




Les propositions d’articles devront parvenir avant le 31 août 2007 à l’adresse suivante, pour être soumises au Comité de Lecture de la revue.

entrelacs@esav.net


1 commentaire:

Tarántula a dit…

oh...i want understand all your blog, but i can´t....it seems so interesting....kisses and magia muda, V.